Travail d'écriture d'invention

Le corrigé type précise qu'on attend de l'élève :

Exemple de lettre

À Monsieur le Directeur de publication
Revue Silex

Monsieur,

Je me décide à vous écrire, tant est fort en moi le sentiment d'indignation après la lecture du dernier numéro de " Silex ". Autant, j'ai pu aimer vos précédents fascicules, autant je déteste celui-ci.
Vous avez, je pense, voulu donner une certaine idée des recherches poétiques qui ont eu lieu au XXe siècle. C'est pour cette raison que vous avez pris quatre auteurs, dont les publications s'échelonnent de 1913 à 1973, chacun illustrant un procédé différent, tous ayant en commun le souci de ne rien exprimer de personnel. En fait, tous ces " poèmes " (vous me permettrez d'employer des guillemets) semblent à un titre ou un autre proches du surréalisme. Max Jacob, du fait de ses liens avec Apollinaire peut être considéré comme un devancier ou un précurseur. D'ailleurs, les accointances avec ce mouvement sont notoires pour Robert Desnos, elles le sont sans doute moins pour René de Obaldia et Raymond Queneau. Mais s'agissant de ce dernier, ce n'est pas à vous que j'apprendrai que les deux mouvements auxquels il a appartenu, le collège de pataphysique et l'Oulipo, ont gardé l'essentiel du funeste courant qui promut l'écriture automatique, école qui avait aussi pour but avoué de détruire l'art.
Avec eux c'est la poésie de Hugo, de Baudelaire, de Verlaine, et bien sûr, de tous leurs devanciers, qui se trouve mise à mort.
Examinons-ces strophes, si vous le voulez bien en commençant par le poème de Robert Desnos, extrait de Langage cuit.
Sur quel procédé repose donc " Un jour qu'il faisait nuit " ?
Le titre permet de le deviner immédiatement : sur un jeu de contraires. Pas un vers qui ne réunit dans une liaison antithétique un mot et son opposé. Je me contenterai d'en citer quelques uns " s'envoler " / " fond ", " pierres " / " bois ", " je la hais " / " d'amour ", " La mort " / " grandes bouffées de vie "… Après avoir cité quatre ou cinq de ces couples, mal assortis, déjà on est lassé et l'on a envie de tourner la page.
Personne ne l'ignore, c'est à Pierre Reverdy que l'on doit le principe qui régit le " stupéfiant image " comme l'a appelé, si je ne m'abuse, André Breton. Plus l'image met en relation des réalités éloignées, plus elle sera forte, frappera l'imagination et pourra donc être jugée poétique.
L'emploi systématique d'un procédé ne saurait faire bon ménage, cependant, avec la littérature. Le stéréotype, signe évident de la mort de la création, n'est pas loin.
J'admets volontiers, cependant, que certains énoncés ne laissent pas d'être poétiques. " Il s'envola au fond de la rivière " introduit d'emblée dans un monde merveilleux où tout est possible. Or, un des buts que Baudelaire assignait à la poésie était justement " d'élargir le champ du possible ". Un vers comme celui-ci peut faire également penser au monde merveilleusement coloré de Chagall, où des violonistes exercent leur talent dans des ciels bariolés.
Qu'un tel procédé soit employé quelques fois, à la rigueur, le lecteur ne s'en rendra pas compte, mais qu'il serve de fil directeur à tout un texte voilà qui ne va plus. Ce gros fil blanc dévalorise l'œuvre et conduit à une lassitude certaine. Le lecteur a compris le principe du poème et ne peut manquer de se dire qu'il pourrait en faire autant. C'est une sorte de passe-partout de la création, mis à la disposition de la foule, qui s'en désintéresse alors forcément.
Le public ne prise guère, de la part d'un artiste, la facilité. Au contraire, il aime qu'on l'honore on faisant montre de talent, d'effort, de virtuosité. Que lui importe ce que, selon lui, le premier venu pourrait faire ? La chute admirable de " Et la mer et l'amour " de Pierre de Marbeuf correspond bien à ce qu'admirent habituellement les lecteurs :
" Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux
Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes. "
Robert Desnos aurait-il pu écrire quelque chose d'aussi bien tourné que son prédécesseur de trois siècles ? Permettez-moi d'en douter. Sans vouloir raviver une querelle des anciens et des modernes, s'il est un domaine où le progrès n'existe pas, c'est bien l'art et en voilà la preuve.
La fin même du poème semble mal démarquée d'" Aube " de Rimbaud. Le poème doit son mouvement à une vague trame narrative. Je n'en démonterai pas toutes les étapes : une action est lancée avec un verbe d'action au passé simple, des verbes à l'imparfait simulent une pause descriptive et campent un décor, l'action se poursuit avec un " après " puis la fin est annoncé avec " alors " et " puis ". Le couronnement le voici : " la pluie nous sécha " ! Ce dernier vers est parfaitement révélateur du confusionnisme mental dans lequel se complaît la poésie moderne et qui est le signe le plus évident de la décadence de notre époque.
Je sais déjà le reproche que l'on ne manquera pas de m'adresser : " Vous êtes insensible à l'humour. Vous méconnaissez cette force capable de subvertir le réel par le rire. Monsieur, vous êtes triste. Vous n'êtes qu'un chevalier à la triste figure. "
A chacun son rire, mais vous me permettrez, Monsieur, d'aller désormais rire ailleurs que dans les pages de votre revue, comme vous me dispenserez, sans doute, d'avoir à exercer mon esprit critique sur les trois autres poèmes. Ils n'en valent pas la peine.
J'ai bien l'honneur, Monsieur, de vous saluer.