Objet d'étude : La poésie.
Textes :
Texte A - Paul Verlaine : "Mon rêve familier",
Poèmes saturniens, 1866
Texte B - Robert Desnos : "J'ai tant rêvé de
toi", "A la mystérieuse", Corps et biens,
1930
Texte C - Paul Eluard : "La Dame de carreau", Les
Dessous d'une vie, 1926
Texte D - Claude Roy : "Tant", Le Voyage d'Automne,
1987.
Texte A - Paul Verlaine : "Mon rêve familier",
Poèmes saturniens, 1866.
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon cur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore. Son nom ?
Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Texte B - Robert Desnos : "J'ai tant rêvé de
toi", "A la mystérieuse", Corps et biens, 1930.
J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette
bouche la naissance de la voix qui m'est chère ?
J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués, en étreignant
ton ombre, à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au
contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne
depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.
Ô balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que
je m'éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes
les apparences de la vie et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui
pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que
les premières lèvres et le premier front venus.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
couché avec ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être,
et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes
et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera
allégrement sur le cadran solaire de ta vie.
Texte C - Paul Eluard : "La Dame de carreau", Les Dessous
d'une vie, 1926.
Tout jeune, j'ai ouvert mes bras à la pureté. Ce ne fut
qu'un battement d'ailes au ciel de mon éternité, qu'un battement
de cur amoureux qui bat dans les poitrines conquises. Je ne pouvais
plus tomber.
Aimant l'amour. En vérité, la lumière m'éblouit.
J'en garde assez en moi pour regarder la nuit, toute la nuit, toutes les
nuits.
Toutes les vierges sont différentes. Je rêve toujours d'une
vierge.
A l'école, elle est au banc devant moi, en tablier noir. Quand
elle se retourne pour me demander la solution d'un problème, l'innocence
de ses yeux me confond à un tel point que, prenant mon trouble
en pitié, elle passe ses bras autour de mon cou.
Ailleurs, elle me quitte. Elle monte sur un bateau. Nous sommes presque
étrangers l'un à l'autre, mais sa jeunesse est si grande
que son baiser ne me surprend point.
Ou bien, quand elle est malade, c'est sa main que je garde dans les miennes,
jusqu'à en mourir, jusqu'à m'éveiller.
Je cours d'autant plus vite à ses rendez-vous que j'ai peur de
n'avoir pas le temps d'arriver avant que d'autres pensées me dérobent
à moi-même.
Une fois, le monde allait finir et nous ignorions tout de notre amour.
Elle a cherché mes lèvres avec des mouvements de tête
lents et caressants. J'ai bien cru, cette nuit-là, que je la ramènerais
au jour.
Et c'est toujours le même aveu, la même jeunesse, les mêmes
yeux purs, le même geste ingénu de ses bras autour de mon
cou, la même caresse, la même révélation.
Mais ce n'est jamais la même femme.
Les cartes ont dit que je la rencontrerai dans la vie, mais sans la reconnaître.
Aimant l'amour.
Texte D - Claude Roy : "Tant", Le Voyage d'Automne, 1987.
Tant je l'ai regardée caressée merveillée
et tant j'ai dit son nom à voix haute et silence
le chuchotant au vent le confiant au sommeil
tant ma pensée sur elle s'est posée reposée
mouette sur la voile au grand large de mer
que même si la route où nous marchons l'amble
ne fut et ne sera qu'un battement de cil du temps
qui oubliera bientôt qu'il nous a vus ensemble
je lui dis chaque jour merci d'être là
et même séparés son ombre sur un mur
s'étonne de sentir mon ombre qui l'effleure
Venise, mercredi 20 novembre 1985.
ÉCRITURE
I. Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points)
:
Justifiez le rapprochement entre les quatre poèmes.
Il. Vous traiterez ensuite le travail d'écriture d'invention (16
points) :
Commentaire :
Vous rédigerez un commentaire du poème de Robert Desnos
(texte B).
Dissertation :
Paul Eluard, le poète "aimant l'amour", n'est pas tant
amoureux d'une femme que de l'amour lui-même. La vocation de la
poésie est-elle, selon vous, de célébrer l'amour,
ou privilégiez-vous d'autres fonctions ?
Vous vous appuierez pour répondre à cette question sur les
textes du corpus et les poèmes que vous avez lus et étudiés.
Invention :
Dans la préface d'une anthologie de poèmes d'amour que vous
avez réunis, vous démontrez comment l'inspiration poétique
et l'amour sont à vos yeux liés.
Rédigez cette préface.
Vous devrez nourrir votre préface de citations de poèmes
et de références à des auteurs.
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