Pierre de Marbeuf, " Et la mer et l'amour "L'amour, plus souvent malheureux qu'heureux, est à l'origine de
nombreux poèmes. Le sonnet célèbre de Pierre de Marbeuf,
connu sous le titre de " Et la mer et l'amour ", et écrit
autour de 1630, évoque justement les dangers de l'ardeur amoureuse
en même temps que l'impossibilité pour l'amant de faire cesser
ses souffrances. Ce sonnet aux rimes marotiques ne contient de marques d'énonciation que dans le dernier tercet. Les trois premières strophes évoquent l'amour, ses dangers, ses souffrances. Les deux derniers vers seulement ont des accents personnels. Le lecteur ne s'aperçoit qu'au vers treize que le poème est destinée à une inconnue, désignée, à la deuxième personne du singulier, comme la responsable des maux du narrateur. Le poème tout entier est construit autour d'une comparaison filée qui assimile l'amour à la mer, les deux domaines ayant en commun d'être dangereux. Le premier quatrain justifie cette comparaison. Le second incite à braver la crainte. Le premier tercet joue sur l'eau et le feu en tant que substances complémentaires et opposées. Quant à la dernière strophe, elle parfait la démonstration en affirmant que le fluide des larmes n'a jamais mis un terme à la souffrance de celui qui aime en vain. La vision de l'amour que Pierre de Marbeuf cherche à nous communiquer est complexe. L'amour est présenté comme périlleux et source de désillusion. C'est un sentiment " amer " répète-t-il. Il est source de déconvenue voire de tristesse ou de désespoir. Pourtant, seuls les timides et les timorés y renonceront du fait des risques auxquels il expose (deuxième quatrain). Vénus, la mère de l'amour, a la mer - autrement dit l'eau - pour origine tandis que le " feu sort de l'amour ". Ce qu'énonce la troisième strophe, si l'on veut en restituer la logique, c'est que le feu vient de l'amour, alors que la mère de l'amour est née de l'eau. Cette parenté primordiale d'éléments opposés ne permet cependant pas à l'eau d'éteindre les feux de l'amour. A ce stade il devient difficile au lecteur de ne pas perdre pied tant l'enchaînement des idées du concret au figuré devient vertigineux. Il en va de même du jeu sur les allitérations et les assonances (" mer ", " amer ", " mère ", " amour ", " abîmer ", " maux ", " aimer ", " enflammer ", " armes ", " amoureux "). La répétition de sonorités nasales, des paronomases dira-t-on, est propre à entretenir l'équivoque du sens. Le télescopage des allusions mythologiques, de l'opposition des éléments fondamentaux aussi bien que de leur complémentarité (l'eau et le feu), des sentiments exprimés sous forme allégorique ne fait qu'ajouter à la confusion. Les champs lexicaux s'enchevêtrent. Le rythme lui-même, d'une régularité monotone voulue (3 - 3 / 3 -3) dans tout le premier quatrain, n'est pas sans faire penser au sac et au ressac des vagues sur le rivage. Cet effet est redoublé par un jeu de rimes internes (v.1 " amour ", " amer " ; v.2 " amère ", " amour " ; " amour ", " amour " à la césure des vers 3 et 4 ; " eaux " et " maux " à la césure des vers 5 et 6 ou encore " amour " et " amour " aux vers 9 et 10). C'est le propre de l'esthétique baroque que de rendre le lecteur victime de trompe-l'il qui provoquent un effet de vertige. Le goût de l'hyperbole qui se manifeste dans les derniers vers, " brasier amoureux ", " amour qui me brûle ", " la mer de mes larmes " participe du même goût et de la même tendance. L'inquiétude, sentiment typiquement baroque, résulte de ce désordre. Insolite, hétéroclite, extravagant, fantaisiste sont les qualificatifs que l'on associe habituellement au baroque, ce sont ceux qui viennent aussi à l'esprit quand on cherche à décrire les effets de sens produits par ce poème. Ces quatorze vers, longtemps méconnus, ne sont pas sans charme
et ce n'est que justice qu'ils soient aujourd'hui fréquemment cités.
Un lecteur moderne, un peu exigeant, pourra reprocher à ce sonnet
une rhétorique trop voyante et une préciosité qui
n'est plus de mise à l'heure où on a tendance à préférer
une expression plus directe, voire plus crue, mais surtout plus sincère.
Il serait difficile pourtant de ne pas reconnaître à l'uvre
de Pierre de Marbeuf des qualités certaines. Parions que la fascination
qu'elle exerce n'est pas prête de s'estomper. |